Quel avenir pour les EdTech françaises ?
Les entreprises de service numérique dans le secteur de l’éducation (EdTech) fournissent aux établissements des solutions d’enseignement à distance. Le confinement conséquent à la pandémie a fait de ces sociétés éditrices de logiciels le trait d’union plus que jamais indispensable au maintien du lien entre élèves et pédagogues.
Ces technologies emportent-elles pour autant l’adhésion des enseignants ? Ce secteur de l’activité économique échappe-t-il à la prédation des GAFAM ? Juri-Geek&Cie se demande aujourd’hui : quel avenir pour les EdTech françaises ?
Un El Dorado de la startup Nation
Depuis 2020 élèves comme parents, lycéens, étudiants en université et en grandes écoles, nous nous sommes connectés à nos espaces numériques de travail (les ENT) armés de nos noms d’utilisateurs et MDP, écouteurs et wifi (voire partage de connexion) pour continuer d’étudier, d’enseigner, de décrocher nos diplômes. C’était souvent avec les moyens du bord, si bien que les conditions d’apprentissage étaient parfois rudes.
Alors que la pandémie connaît des vicissitudes, cet usage semble s’inscrire dans la durée. Puisqu’un simple téléphone mobile suffit à transmettre le savoir après tout, pourquoi diable revenir en cours ? Les technologies numériques au service de l’éducation prennent racine et constituent des briques de campus numériques. Vous connaissiez les cours ouverts en ligne (MOOC), à présent les petits cours privés (SPOC), badges et certificats se multiplient pour fournir aux apprenants des modalités d’apprendre plus agiles.
Pendant que tu bois ton thé, ces startup lèvent des millions dans le monde. Le taux de croissance annuel composé de ce secteur devrait croître à 16,1 % d’ici 2027, le virage des EdTech semble inévitable.
Encore faudrait-il qu’il profite à toutes ses parties prenantes collectivités, entreprises, associations et acteurs publics et qu’il prenne en compte déserts numériques.
Ces technologies emportent-elles l’adhésion des enseignants ?
En situation de confinement, la continuité pédagogique était essentielle au maintien du lien social. Or, donner un cours en visio-conférence ne s’improvise pas à moins d’être doté d’un talent caché d’animateur radio ! De même, adapter son cours sur une plateforme, nécessite d’en connaître toutes les fonctionnalités pour proposer aux apprenants un scénario pédagogique propice à l’ancrage de connaissances souvent théoriques. Enseigner à distance est un métier à part entière, seul un professeur ayant l’appétence pour ces technologies et bénéficiant du soutien d’ingénieurs pédagogiques peut accompagner ces étudiants de manière efficiente. Par exemple pour 25 minutes de cours en ligne, je compte 5 jours de travail.
Quant aux enseignants-chercheurs, ils sont évalués à l’aune des classements de revues scientifiques dans lesquels ils publient. L’ axiome « publier où périr » provoque la dévalorisation des productions de l’enseignant : fascicules de cours, infographies, vidéos pédagogiques, auto-évaluations formatives, personnalisation des parcours en ligne… Un travail que nous faisons en fonction de nos capacités mais à ce jour, combien d’enseignants ont été formés aux technologies numériques ?
Beaucoup d’enseignants développent malheureusement leurs compétences de leur propre volonté, si ce n’est à marche forcée quand l’établissement veut se positionner à la tête de la course des campus virtuels.
Les EdTechs échapperont-elles à la prédation des GAFAM ?
Les étudiants sont souvent plus méfiants vis-à-vis des géants du numérique et font davantage confiance à leur établissement et la crise sanitaire a conduit beaucoup de collèges et d’universités à faire une transition très rapide vers les cours en distanciel. Des fonctionnalités basiques des suites logicielles ont été utilisées pour enseigner, si bien qu’aujourd’hui les établissements dépendent de ces plateformes pour le suivi et la gestion des cours afin de maximiser des processus et de délivrer des services estudiantins à grande échelle. C’est particulièrement vrai pour les étudiants en alternance et les étudiants se situant en dehors du territoire national. Et c’est là que le bât blesse car presque tous les serveurs des ENT se trouvent hors de l’UE. A l’heure où la PFUE prétend construire une souveraineté numérique (lien ouvrant le podcast sur ce sujet), il semble que le système éducatif n’ait pas encore été identifié comme une composante primordiale.
Pourtant ces serveurs constituent bien à présent la véritable université numérique mondiale puisque les établissements y stockent tous les supports de cours, tous les cas pratiques, sujets d’examen, annotations, scores de contrôle continus, notes examen final, sans compter l’identité et les numéros d’étudiants : de quoi fabriquer au passage de vrais-faux diplômes pour de vrais-faux CV !
On reconnaît bien là la douce naïveté du monde des établissements de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation qui préoccupés par l’accès à la connaissance, partagent leurs contenus à outrance sans conscience des risques numériques pour eux-mêmes, leurs bénéficiaires et par extension, le modèle éducatif lui-même.
Les EdTech à la française soucieuses de respecter la vie privée de nos têtes blondes, qui s’engageraient de façon mutualisée sur une voie éthique des TICs de l’enseignement pourraient bien rafler la mise aux GAFAM. mais cela ne sera possible que si l’Etat réalise enfin que seule une utilisation responsable des technologies, tous secteurs confondus, est la condition sine qua non de la préservation de son autonomie stratégique.
Une industrie qui façonne les professionnels de demain
Certaines technologies de surveillance des examens à distance (« proctoring ») prennent le contrôle de l’ordinateur de l’élève, notamment sa caméra pour prendre des photos et des vidéos. Pourtant la CNIL recommande aux établissements de ne pas imposer aux étudiants l’activation de leur caméra qui doit être conditionné faire un besoin pédagogique identifié. Contrairement à ce qu’on croit les étudiants se préoccupent de plus en plus des traces qu’ils laissent sur internet et de la protection de leurs données. Restons à l’abri d’un « Student Gate » car les conséquences d’un doxing sont dévastatrices.
Oui chers étudiants, vous pouvez refuser la vidéosurveillance sans que cela n’impacte votre cursus académique ; vous voulez savoir comment votre institution utilise vos données c’est très simple il suffit d’envoyer un mail au délégué à la protection des données (son adresse doit se trouver dans la Politique de confidentialité de l’école tout en bas de chaque page internet du site de l’école).
La conformité de ces technologies surtout l’enregistrement requiert l’information et autorisations préalables, les habilitations d’accès et des conditions spécifique relatives à l’hébergement, la durée de conservation l’éventuel archivage et la rediffusion. Les ESRI sont des responsables de traitement au titre de la loi Informatique et Libertés et encourent des sanctions en cas de manquement. L’autorité de protection des données suédoise a infligé une amende de 392 000 € à un Conseil pédagogique qui avait subi des violations de sécurité des données.
Les étudiants en distanciel sont les ingénieurs de demain, des entrepreneurs et professionnels dont l’attitude face aux technologies déterminera les pratiques et politique qui gouverneront la société.
Sources :
La vidéosurveillance – vidéoprotection dans les établissements scolaires | CNIL
Sanctions et jurisprudences de l’ESRI européen – Le réseau des DPO (supdpo.fr)
Définitions :
- Taux de croissance annuel composé (TCAC) est une mesure statistique permettant d’estimer la croissance moyenne annuelle qu’il y a eu entre deux dates
- Doxing: recherche et publication d’informations privées ou d’identification sur un individu particulier sur Internet, généralement avec une intention malveillante